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[Regards Croisés] Le « manager-ressource » au service de l’accomplissement des équipes

22 janvier 2024

La fonction managériale change. Elle mute. Elle évolue. Au gré des transformations de notre société, la place du manager auprès de ses équipes a changé… Pour Gilles Verrier, Président d’Identité RH et Professeur Associé à Dauphine, l’heure a sonné d’adopter la posture de « manager ressource ». Il partage sa vision avec Gwénaël Rigolé, fondateur d’Actinuum. 

 

 

Votre dernier ouvrage nous projette dans l’univers des RH en 2030. Pourquoi le rôle, l’essence même de la fonction managériale évoluent-ils selon vous ? 

GV : L’entreprise s’est structurée pendant un siècle pour répondre au besoin de consommation de masse et d’industrialisation des activités. L’enjeu premier, sur le plan humain, était celui de l’alignement dans l’exécution. Ce qui appelle mécaniquement un modèle de management descendant, dans lequel quelques décideurs pilotent l’action de nombreux exécutants. Dans ce cadre, le manager donne des consignes et en contrôle l’exécution par les collaborateurs. Le tout est cadré par des normes et des procédures strictes. Bien évidemment, ce modèle a vécu. Aujourd’hui, ce qui est rare, ce n’est plus le produit ou le service, mais le client. L’enjeu n’est plus l’industrialisation mais l’adaptation au besoin du client. Ce qui appelle un modèle fondé sur l’initiative, l’intelligence des situations et l’autonomie des collaborateurs. Cette réalité impose à la fonction managériale de se transformer radicalement. Il est urgent d’accélérer cette mutation que les entreprises sont encore loin d’avoir terminée. 

 

GR : La servicisation des activités a effectivement induit une personnalisation extrême vis-à-vis du client. Cela a conduit les entreprises à repenser leurs offres, leurs produits, leurs services. Cela a également conduit à innover davantage. Alors que la finalité managériale est orientée vers la satisfaction, elle ne peut pas ne pas être orientée vers ceux qui produisent l’effort : les membres de l’équipe. Ce n’est pas la seule transformation de notre société qui accélère la transformation des managers. Autrefois, les individus rattachaient leur place dans la société à leur place dans leur entreprise. Aujourd’hui, nous définissons notre place dans la société de manière beaucoup plus complexe et protéiforme. Nous nous interrogeons désormais sur l’utilité de nos actes, le sens de notre action, etc. Cela déporte automatiquement l’action du management sur des sujets de bien-être, de qualité de vie au travail, d’équilibres personnels/professionnels, d’évolution et de montée en compétences… mais aussi sur des enjeux de sens et d’adhésion à une vision et des valeurs. 

 

La lettre d’Identité RH de Décembre est intitulée « Le Manager, acteur clé de la transformation effective ». Vous y évoquez le management « engageant » de la transformation et insistez sur le rôle du « manager-ressource » pour accompagner les transformations. De quoi s’agit-il exactement ? 

GV : L’entreprise doit pouvoir s’appuyer sur l’ensemble de ses collaborateurs pour atteindre ses objectifs. Le rôle du manager, c’est d’être une ressource pour eux. Il doit garantir leur montée en autonomie, en accompagnant leur montée en compétences. Il agit également comme une ressource à leur disposition, quand ils sont confrontés à des situations qu’ils ne savent gérer seuls. Il s’agit là d’un changement de de posture essentiel. L’ancien manager avait une posture parent/enfant de déresponsabilisation. Il doit basculer dans une posture adulte-adulte. Dans le premier modèle, pour engager une transformation, le manager donne des ordres qui doivent être exécutés. Dans le second, la finalité de la transformation est certes définie par le top management qui en partage les raisons avec l’ensemble des collaborateurs. Au manager ensuite d’animer la prise d’initiatives dans ce cadre. Avec ce modèle, ce sont les équipes qui sont prescriptrices et actrices des transformations. Le modèle managérial de demain découle d’un mix dont les ingrédients sont la montée en autonomie et en compétence, l’allègement organisationnel pour abolir les normes et processus qui contraignent le système, des éléments de sens. Ces derniers sont indispensables pour que les initiatives convergent. Au manager de développer l’autonomie de ses collaborateurs et de pousser les logiques de confiance. 

 

GR : Cette notion de manager-ressources est très intéressante. Elle m’évoque le parallèle avec la façon dont la fonction d’entraîneur sportif a évolué. Par le passé, un entraîneur était avant tout un sélectionneur. Il fondait ses entraînements sur la stratégie, sur le physique. Il exigeait que son plan de jeu soit respecté à la lettre. L’entraîneur était naturellement un dominant. Les choses ont sensiblement évolué ! L’entraîneur aujourd’hui cherche à créer et composer le collectif le plus performant. Il cherche à pousser les athlètes à exprimer le maximum de leur talent. Pour cela, il se met au service de chaque membre de l’équipe. Il devient une ressource pour le collectif. Tout l’approche intellectuelle du manager a évolué car le pouvoir managérial n’est plus seulement incarné dans l’expertise du manager, mais dans la capacité à concerter, à coconstruire le plan. Cela s’explique par un fait évident : la complexité dans laquelle nous gravitons. Cette complexité ne permet pas au seul manager d’avoir toutes les réponses. L’art de manager consiste à créer les conditions de l’expression d’un collectif. Désormais le manager est un exhausteur d’intelligence collective, bien davantage qu’un prescripteur de solutions. Le manager est une ressource… mais il est aussi une source d’inspiration, d’énergie, de méthode, d’accompagnement !

 

Les entreprises gravitent plus que jamais dans un océan de complexité. Les transformations sont fortes, permanentes, rapides… Comment le manager peut-il les rendre plus attractives qu’inquiétantes ? 

GV : Quand une transformation est décidée par l’entreprise, elle s’appuie presque toujours sur des critères rationnels. Il y a donc un « pourquoi ». Trop souvent, ceux qui décident de la transformation ne partagent pas avec les autres acteurs le « pourquoi », mais seulement le « comment ». Or, le « comment » ne suffit plus, les collaborateurs ont besoin de sens. S’ils trouvent ce sens, le « comment », ne sera plus descendant car dans un rapport d’adulte à adulte, le manager considérera que le collaborateur est expert dans son domaine de compétence et que c’est de lui qu’émanera la solution au défi de la transformation. 

 

GR : Les plus jeunes générations sont conscientes qu’elles sont au cœur de transformations majeures. Transformation numérique, enjeux environnementaux, libéralisme économique débridé… En outre, nous savons que, quoi qu’il arrive, nous devons préserver la planète. Les talents les plus jeunes sont nés avec cette complexité. Ces mutations continues ne sont plus cause d’anxiété car elles sont leur réalité. Ils sont plus pragmatiques. Ils cherchent à apporter des solutions. Mais, pour y parvenir, ils ont besoin qu’on leur donne confiance en eux. C’est là que le manager-ressource trouve tout son sens et peut remplir toute sa mission. Je rejoins Gilles quand il explique que le « pourquoi » est essentiel. En fait, le « comment » appartient aux équipes. Le manager intervient pour « décomplexifier » les enjeux en allant construire un chemin semé de victoires et de succès qui en appelle d’autres. L’exemple de Claude Onesta, le célèbre entraîneur de handball, est assez inspirant. Il était un chef, le détenteur du plan. De la méthode. Après un échec, il a réuni ses cadres et a créé des sous-groupes de leaders au sein de son organisation pour faire émerger des solutions nouvelles. Chaque groupe était sondé, interrogé, sollicité pour tenter d’identifier les meilleures orientations stratégiques pour aborder une rencontre. Même sur le bord du terrain, pendant les temps morts, il laisse les leaders s’exprimer. Claude Onesta n’intervenait alors qu’au moment de faire la synthèse des options. C’est un exemple parmi d’autres de l’évolution de la fonction managériale. 

 

2024 est une année Olympique. La France, le monde entier vont se draper du voile des valeurs de l’Olympisme. Comment les managers peuvent-ils s’inspirer de ces valeurs ? 

GV : C’est tout le problème de la situation actuelle. Il y a certes les valeurs de l’olympisme. On pense d’emblée à des valeurs de collectif, de performance, de dépassement, de solidarité, de plaisir et de fête. Mais ses réalités actuelles peuvent paraître désalignées avec ces valeurs au regard du prix des billets, des conditions de travail sur les chantiers des futurs équipements ou les enjeux de sécurité. De la même façon, les « valeurs du sport » sont déclinées de manière variable. Souvenons-nous des méthodes de l’entraîneur de Laure Manaudou qui avaient conduit celle-ci au burn-out. Au contraire, certains entraîneurs animent par l’engagement, la valorisation, la connaissance de soi.  Évidemment, un manager peut s’en inspirer. 

 

GR : Il faut prendre les JO de Paris 2024 pour ce qu’ils sont : un zoom sur notre monde. Une loupe est braquée sur Paris, pour observer le monde dans son ensemble. Cette loupe, braquée sur ce monde en réduction porté par la quête de performance, peut- aussi – générer le pire (dopage, harcèlement moral, attentat, cyberattaque, pollution, etc.) mais ces risques doivent être pris car l’enjeu des JO nous dépasse. Ils unissent les peuples, célébrent la compétition dans le respect des concurrents et contribuent à relever nos défis sociaux et environnementaux. Les Jeux Olympiques sont une chance unique que nous devons saisir pour faire avancer la société dans son ensemble. 

 

Question subsidiaire : succès, échecs, qu’est-ce qui dans votre parcours vous a permis de vous forger l’ensemble des convictions que vous venez de nous partager ? 

GV : Dans mon tout premier poste en tant qu’adjoint du DRH d’un site industriel de Philips qui comptait 1500 collaborateurs, tout l’encadrement savait que des investissements technologiques majeurs allaient être réalisés sous deux ans. Les conséquences anticipées sur l’emploi des opératrices d’insertion manuelle des composants électroniques étaient considérables. Chacun des managers se préparait à des licenciements massifs et à des recrutements nombreux pour conduire les nouvelles lignes d’insertion automatique. Avec le DRH, nous avons travaillé à un scénario alternatif de requalification d’une partie des opératrices de production. Nous sommes parvenus à faire adopter ce scénario qui avait le même coût pour l’entreprise. J’ai su que j’avais choisi le bon métier le jour où, une fois le projet terminé, une de ces opératrices est venue me remercier en me disant que cette requalification l’avait fait redémarrer. Elle m’a dit avoir eu le sentiment de s’être en quelque sorte « arrêtée » 20 ans auparavant, au moment de son recrutement dans l’entreprise, et que le projet l’avait remise en mouvement. Elle en était fière. J’ai compris ce jour-là qu’il était possible de mener des opérations bénéfiques aussi bien pour l’entreprise que sur le plan humain. J’ai su alors que je faisais le plus beau métier du monde. 

 

GR : Cette anecdote est à la fois touchante et intéressante. Elle m’évoque ce cortège de transformations qui s’annonce avec le développement de l’intelligence artificielle. Celle-ci nous fait rêver par son incroyable potentiel et, dans le même temps, elle nous inquiète pour son impact sur l’emploi. Je suis convaincu de la force de l’intelligence humaine et persuadé que le monde du travail s’adaptera, il trouvera un chemin. On ne lutte pas davantage contre l’IA que contre un Tsunami. De nouvelles formes d’emploi vont émerger car la seule chose qui fait vivre une entreprise,  c’est la valeur qu’elle produit sur un marché. Or, cette valeur a besoin de clients… qui ont besoin d’emplois pour consommer et créer de la valeur. En revanche, les défis de montée en compétences s’annoncent éminemment passionnants. Nouvelles méthodes de formation, nouvelle expression des emplois, nouveau management… Toutes ces mutations vont amener à repenser les modes de collaboration et, in fine, le rôle des managers. 

 

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