Prendre le contre-pied de cette idée préconçue qui ferait du manager un surhomme ou une surfemme. Oublier ces centaines de qualités dont il faudrait se prévaloir pour être un as du management. Denis Monneuse, enseignant-chercheur et directeur du cabinet de conseil Poil à gratter, est l’auteur d’Errare Managerium est, au sein duquel il dresse la liste des fausses bonnes idées à éviter pour devenir un meilleur manager. Il répond à nos questions et s’interroge sur la place du droit à l’erreur dans le management.
Peut-on reconnaître ses erreurs sans perdre son leadership ?
DM : Être un bon manager, c’est quelqu’un qui fait peu d’erreurs. Mais est-ce là l’essentiel ? À mon sens, plus que l’infaillibilité, le manager devrait surtout être capable de reconnaître ses erreurs lorsqu’il en commet. Reconnaître ses erreurs, ce n’est pas remettre en question son leadership. Chacun sait que l’apprentissage par l’erreur est une technique pédagogique très efficace. Pourtant, dans les master classes, les webinaires, les managers sont toujours incités à mettre en avant leurs exploits. L’erreur est encore un tabou dans le monde du monde du management.
GR : Le manager doit penser l’erreur comme une source d’apprentissage. Il ne faut pas redouter l’erreur car elle est aussi une opportunité d’exprimer son rôle de manager face aux difficultés. Reconnaître ses erreurs est une force qui témoigne de votre capacité à exprimer des valeurs d’honnêteté, de transparence, et, in fine, d’humilité. Une humilité qui contribue souvent à lier les équipes et à fédérer les énergies.
Pourquoi les managers ont-ils souvent peur de reconnaître leurs erreurs ?
DM : Je pense qu’ils sont victimes de la culture un peu viriliste du management. Le manager doit montrer qu’il n’a pas de faiblesse, il doit masquer ses émotions… Cette image est un fardeau pour les entreprises. Reconnaissant une erreur, le manager prend le risque d’être mal vu, voire sanctionné. Cette crainte de la sanction, cette prétendue infaillibilité du manager déteint sur les équipes elles-mêmes qui ne s’accordent plus le droit à l’erreur de peur d’être stigmatisées… Refuser l’erreur, cela limite la prise de risque, l’initiative. Cela inhibe et enferme. Refuser l’erreur est donc une terrible erreur. D’autant que la notion de management authentique gagne du terrain. Les équipes attendent du manager qu’il soit humain, or l’humain est faillible par nature.
GR : Les managers redoutent les erreurs (surtout les leurs !) car elles constituent culturellement un signe de défaillance, de fragilité. Elles les obligent à tomber le masque de super-héros ou de sauveur qu’on leur fait porter à tort. L’obligation qui incombe au manager n’est certainement pas de ne pas se tromper. Bien au contraire, il a l’obligation de trouver de mobiliser tous les moyens nécessaires à l’identification des meilleures solutions. Dans ce contexte, plutôt que la résolution de l’erreur elle-même, ce qui prime, c’est la maîtrise des process (qui offre un chemin de résolution à suivre aux équipes), l’agilité dans la réaction, l’ouverture d’esprit, et la capacité à écouter !
La question du droit à l’erreur se limite-t-elle à se l’accorder à soi-même ou est-il plutôt de la responsabilité du Top management que de l’insuffler dans l’ensemble de l’entreprise ?
DM : Trop souvent, il existe une confusion entre l’erreur et la faute. Une faute revêt nécessairement une dimension morale, voire intentionnelle. L’erreur ne remet pas nécessairement en cause la bonne foi ou le bon sentiment. La nuance est capitale ! Insuffler le droit à l’erreur dans une organisation, c’est finalement l’affaire de tous mais surtout celle du top management. Lorsque la direction stigmatise ou sanctionne l’erreur de manière systématique, chaque manager va répliquer cette stigmatisation au sein de ses équipes. En réaction, l’erreur devient inavouable. Puisqu’elle est cachée, il n’est plus possible d’en tirer les enseignements. Une erreur liée à une procédure ne fait que se reproduire, encore et encore, sans que jamais personne ne prenne le risque de la corriger… La logique du droit à l’erreur consiste à créer une sécurité psychologique, un cocon protecteur qui permet de s’interroger sur les causes (souvent collectives !) d’une erreur. Le droit à l’erreur, c’est pardonner et se souvenir pour apprendre et s’améliorer.
GR : Le droit à l’erreur doit être inscrit (avec sincérité !) dans la culture d’entreprise. Quand l’erreur n’est pas permise, au sein d’une organisation, il faut véritablement s’interroger sur ses schémas organisationnels globaux et notamment sur la gestion de l’erreur par les dirigeants eux-mêmes. Je pense qu’il faut en revenir à la maxime latine bien connue dont la deuxième partie est malheureusement souvent oubliée : « Errare humanum est… perseverare diabolicum » (NDLR : L’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur est diabolique). Oui, l’erreur est permise car elle est le propre de l’Homme, mais persévérer dans l’erreur, sans jamais en tirer les enseignements, est inacceptable.
Quelle est la pire des erreurs à commettre pour un manager ?
DM : Je pense que vouloir faire le bien des gens sans les consulter est sans doute l’une des pires erreurs que puisse commettre un manager. Imaginez un manager qui constate qu’un des membres de son équipe ait à accomplir des tâches très routinières, répétitives et qu’il décide, unilatéralement, de modifier les missions de ce collaborateur. Ce dernier appréciait peut-être cette routine qui le rassurait ou lui offrait une certaine forme d’épanouissement. Vouloir faire le bonheur des autres à leur insu peut s’avérer extrêmement contre-productif. Le manager n’est pas un sauveur ! Le manager doit apprendre à connaître les leviers de motivation spécifiques de chaque membre de son équipe… et les respecter.
GR : À mon sens, la pire erreur que l’on puisse commettre, en tant que manager, c’est de rester persuadé que l’on a toutes les réponses. Dans la réalité, ces réponses viennent des équipes dans leur ensemble. Le manager doit laisser s’exprimer l’intelligence collective. Pour cela, il doit créer un cadre bienveillant, instituer une logique de flux et de processus qui incite et aide les collaborateurs à mobiliser leurs énergies et leurs savoir-faire.
Le seul moment où un manager est fondé à imposer un plan d’action, c’est lorsque les équipes sont mises en danger. Son rôle consiste alors à s’exposer pour les sécuriser en assumant la responsabilité de ses choix. Il permet alors le passage à l’action de tous en les tenant à l’abri.
En dehors de ces cas d’urgence exceptionnels, et pour mieux y faire face, l’entraînement est capital. A l’instar du RAID ou du GIGN, qui repensent et répètent inlassablement gestes et procédures pour les nourrir d’une réflexion collective propre à identifier les meilleurs consensus et solutions, le manager crée les conditions d’une entraînement permanent, seul garant de réactions vives et saines lorsqu’il faut affronter l’erreur !