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[Regards Croisés] Et si l’on prenait (vraiment) soin des managers ? 

14 février 2024

À 27 ans, Mahé Bossu est consultante RH chez Flexity et co-fondatrice de StoryRH, un podcast dédié au management du capital humain. En octobre, elle a publié un ouvrage intitulé Halte au manager-bashing ! Réinventer l’expérience manager. Un plaidoyer sans appel en faveur des managers dont les missions sont toujours plus complexes dans un contexte de transformations continues. Regards croisés avec Gwénaël Rigolé, CEO d’Actinuum. 

Digitale, sociétale, organisationnelle, nous vivons dans un monde de transformations à la fois violentes et continues. Comment cela impacte-t-il le manager ? 

MB : N’oublions pas que le manager est d’abord un collaborateur de l’entreprise. C’est à ce titre qu’il est concerné par l’ensemble des transformations que vous évoquez. Le manager est un être humain ! Il est sans cesse challengé sur ses compétences, sur ses attitudes, son quotidien… Il est ensuite concerné par rapport ses équipes puisqu’il est le garant de la transformation des collaborateurs, de leur organisation, de leurs méthodes. Enfin, certaines entreprises agitent le drapeau de la transformation pour faire peser davantage de responsabilités sur le manager. Si le manager doit évidemment être le relais des transformations, il n’est pas un super-héros et ne peut pas tout assumer à lui seul. Les managers sont déjà responsables de leurs équipes, ils sont déjà responsables du projet de l’entreprise et certaines organisations les rendent responsables de la transformation des modes de travail, de la RSE, comme s’ils s’agissait d’une couche supplémentaire, additionnée à des injonctions préexistantes… et qui n’ont pas diminué. 

GR : Le manager n’est pas responsable, il est acteur. Parce qu’il est acteur, rien ne l’oblige à se cantonner à un rôle d’observateur ou encore à subir les transformations. Mais le manager n’est pas différent des membres de son équipe. Lui aussi est en quête de sens, de solutions et création de valeur collective. Or, il ne peut porter seul le poids de cette responsabilité, elle incombe avant tout à l’entreprise et à ses dirigeants. Pourtant, le manager a le pouvoir de faire bouger les lignes en s’appuyant sur l’énergie de ses équipes plutôt que d’accepter la peur ou la résignation. Mahé Bossu a parfaitement raison de nous alerter sur le besoin de sécuriser le manager, de le valoriser et de le soulager d’une certaine forme de pression négative. L’avenir doit être vécu par le manager et par ses équipes comme un champ d’opportunités infini. Pour cela, l’entreprise et ses dirigeantes doivent tout mettre en œuvre pour donner au manager confiance dans l’avenir et dans le pouvoir d’action des équipes. 

Comment, pourquoi et surtout dans quelle direction, les managers doivent-ils se transformer, pour quelles missions, pour quelles compétences… et pour servir quels objectifs ?  

MB : De temps avant tout ! Je suis souvent au contact de managers. Ils savent déjà manager. Ils ont tous les codes, les bons réflexes. Les formations leur permettent de prendre du recul, de repenser leur action, de requestionner les bonnes pratiques, mais fondamentalement leur compétence managériale est déjà élevée. Face à l’urgence créée par la transformation, ils manquent d’un temps de qualité à passer avec leurs équipes car on ne leur donne trop souvent que des perspectives de court terme, là où les sujets qu’ils traitent sont d’ordre culturels. Ils sont cantonnés à un management réactif alors qu’ils devraient s’inscrire dans une dynamique proactive. À toute échelle de l’organisation, le temps est donc la ressource la plus rare et précieuse. En anticipant et en priorisant davantage, l’efficacité des équipes et des managers pourrait être nettement améliorée. Or, les premiers garants de cette anticipation et de cette priorisation, ce sont bien les membres du top management de l’entreprise. Les membres des comités de direction sont les premiers managers et c’est aussi à eux de s’appliquer cette rigueur managériale pour mieux gérer la charge des managers eux-mêmes.

GR : À nouveau je ne peux qu’être d’accord avec Mahé ! L’accès à l’information, les réseaux sociaux, le téléphone portable, les emails ont inscrit le manager connecté dans l’hyper-réaction. On lui demande de gérer l’immédiateté, le court, moyen et le long terme. Comment peut-il prendre le recul nécessaire à l’anticipation quand il est ainsi hyper sollicité ? A l’instar d’un hélicoptère, le manager doit pouvoir parfois se mettre en vol stationnaire mieux observer, analyser et réfléchir afin de construire sa logique d’action. Une fois celle-ci définie, il peut rejoindre l’équipe pour la soutenir et l’orienter. Mais l’exercice n’a rien d’anodin ! Cela nécessite des compétences de gestion du temps et de priorité, d’organisation et résistance à la pression pour s’extraire du quotidien. Le manager doit aussi être capable d’analyser et décider rapidement face à des situations complexes. Il doit aussi être un radar à émotions pour capter et décrypter la dynamique énergétique de son équipe. Associés à sa bienveillance, son enthousiasme, son énergie doivent se transformer en dynamique d’action ou au contraire en capacité de temporisation quand il déscelle le stress ou la peur. Cette faculté d’écoute des équipes, il doit se l’appliquer à lui-même pour entendre ses convictions, ses doutes, son état émotionnel et son « body battery ». Se ménager des temps de repos, de ressourcement, de réflexion et de détente pour revenir dans le jeu frais, clairvoyant et ambitieux et ainsi être acteur des transformations.

Dans quelle mesure le manager est le rouage essentiel pour affronter le cortège de transformations qui s’impose aux entreprises ? 

MB : Le manager est effectivement un rouage essentiel à la transformation. Mais, quand l’entreprise parle du manager, elle évoque ce qu’il peut apporter à l’entreprise, mais rarement ce qu’elle pourrait apporter au manager. Ce n’est que justice que d’accorder un peu plus de temps et d’attention aux managers…

GR : Penser que le manager est la clef de toutes les transformations est une hérésie. Il est un maillon essentiel d’une chaîne. Comme tout maillon, il doit être connecté aux autres. La bienveillance et le sens du collectif sont deux éléments essentiels pour garantir la force et la solidité de cette chaîne. À mon sens, la performance de l’entreprise s’obtient par la transformation en continu de l’organisation, fondée sur un socle : trouver les conditions de l’épanouissement et de l’engagement des collaborateurs dans la réussite du projet d’entreprise. Le rôle essentiel du manager, c’est d’embarquer, de capter les attentes, de maximiser les compétences en alignant le projet professionnel des collaborateurs avec celui de l’entreprise.

Et ces entreprises, en font-elles assez pour leurs managers ?

MB : C’est tout l’objet du livre que je viens de publier ! Je me bats contre ce management bashing incessant. Dans le cadre de mes activités, je suis en contact avec des managers qui sont littéralement débordés, qui sont au bord de la rupture. Et ils sont rarement entendus. D’un côté, les collaborateurs estiment souvent que les managers sont payés pour supporter cette charge incroyable et qu’ils n’ont donc pas le droit de se plaindre. De l’autre, les entreprises se contentent de mettre en place des formations pour accompagner les managers. Je suis formatrice moi-même, cette démarche me semble donc pertinente, mais elle ne suffit pas. Elle produit même un effet indésirable en laissant entendre au manager que s’ils rencontrent des difficultés, c’est parce qu’ils n’ont pas de compétences managériales. Il faut former oui, évidemment. Mais, il faut aussi réfléchir aux conditions d’exercice de la fonction. Résumer les difficultés du manager à un seul problème de formation, c’est une vision réductrice de l’enjeu.

GR : L’écoute des managers est indispensable, c’est vrai, mais il faut aussi assurer le développement de leurs compétences. La formation est un élément de réponse à l’accompagnement des managers. Il est important de construire des GEPP (Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels) adossés à des parcours formatifs pour les managers afin qu’ils puissent progresser en permanence en diversifiant leurs sources d’apprentissage. La pédagogie P.E.P.S d’Actinuum s’inscrit dans cette ambition en alternant PREPARATION (évaluation du potentiel managérial et individualisation de l’apprentissage), ENTRAINEMENT (séances d’entraînement aux situations managériales), PERFECTIONNEMENT (atelier use case pour apprendre ensemble des situations vécues) pour atteindre le SUCCES (mesure des résultats opérationnels). Les apports du digital dans l’apprentissage permettent d’apprendre à chaque instant, de s’évaluer en continu, et de s’appuyer sur un regard extérieur pour résoudre les « pain » managériaux du quotidien. Les entreprises doivent aussi permettre la création de communautés managériales qui échangent via le canal digital ou en physique. L’échange en pairs est particulièrement important pour les managers en difficulté qui ont besoin de soutien.

Question subsidiaire : succès, échecs, qu’est-ce qui dans votre parcours vous a permis de vous forger l’ensemble des convictions que vous venez de nous partager ?

MB : Je suis assez jeune, j’ai 27 ans. Mais j’ai été collaboratrice moi-même et j’ai été accompagnée par des managers. J’ai connu d’excellents managers dont je conserve un souvenir incroyable. J’en ai connu d’autres… plus perfectibles. J’ai parfois eu envie de hurler que les managers étaient tous des imbéciles. Et, à l’inverse, j’ai vécu d’innombrables situations qui me démontraient tout le contraire. Ce que j’ai appris de cette expérience, c’est qu’il n’y a pas une unicité du management. En plus d’être collaboratrice, je suis formatrice et consultante RH. À ce titre, je suis intervenue auprès de certaines directions RH et de certains managers et j’ai pu mesurer les contraintes auxquelles les managers sont confrontés. En croisant ces deux expériences, j’ai pris conscience que l’on parle très peu des contraintes des managers. La littérature expliquant pourquoi et comment les managers devraient être meilleurs est abondante. Mais connaissez-vous un livre ou un article de blog qui explique aux collaborateurs, le rôle qu’il doit jouer par rapport à son manager ? Cette réalité explique le désamour des collaborateurs français pour la fonction managériale. Elle explique aussi la crise des vocations et les difficultés à recruter des managers. Avant même d’être une question d’outils, de process, de méthodes RH, je pense qu’il faut mener une réflexion culturelle autour de la place du manager dans l’entreprise. La question du pouvoir, de la responsabilité, d’informations, d’acceptation de la critique, de la gestion du temps… Le manager est au centre de tous ces thèmes. Si l’on ne s’interroge pas sur ces questions culturelles, on ne pourra pas aider le manager à jouer son rôle de trait d’union dans les organisations.

GR : La sincérité du ag de Mahé est vraiment inspirante. La question de la place du manager dans l’entreprise est essentielle. La culture latine (et française !) a toujours valorisé l’artisanat, l’expertise et l’ingénierie. Cela a engendré une dérive fondée sur un postulat hasardeux selon lequel le management pourrait être une spécialisation après avoir exercé un métier basé sur les hardskills ou après un cursus ingénieur. J’ai effectué une partie de mes études au Canada à la fin des années 90. Il existait déjà des cursus post-bac pour devenir manager, chef de projet etc. C’était déjà un métier à part entière sur l’autre rive de l’Atlantique. En France, la valorisation du management est récente. Tirons profit de l’excellence de nos écoles de commerce, d’entreprenariat et de management tout aussi reconnues que nos écoles d’ingénieur, pour changer cette perception dans la société. Les entreprises doivent se doter de cellules de développement des managers performantes et adaptées, à l’image de celles qui sont créées dans les formations initiales. C’est ainsi que nous parviendrons à redonner toute la noblesse à la discipline du management… et à la mission de manager ! 

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