En quelques mois et plusieurs dizaines de posts sur LinkedIn, Victor Billette de Villemeur s’est forgé une solide réputation. Passé en quelques mois de 2000 à plus de 10 000 followers, le Product Manager chez L’Oréal le clame haut et fort : « j’écris pour que l’agile soit mieux compris et mieux exécuté ». Convaincu que l’exercice de management repose d’abord et avant tout sur un savant équilibre entre contrôle et confiance, il publie deux fois par jour sur LinkedIn. Un rythme effréné de quatorze billets par semaine pour « partager des idées ». Entre nécessaire formation, capacité à la confiance et engagement des équipes, il répond à nos questions …
Pour quelle(s) raison(s) avez-vous choisi de vous exposer sur un réseau professionnel comme LinkedIn et surtout en tenant un rythme de publication aussi soutenu ?
VBV : J’avais envie d’aller plus loin. Au quotidien, je suis confronté à des questionnements sur ma pratique du management, sur l’organisation du travail, sur l’agilité. De nature curieuse, je me documente beaucoup, je lis énormément et écrire sur ces sujets me permet de mieux structurer ma pensée, de prendre du recul sur mes méthodes, mes pratiques. Écrire me permet de faire le lien entre théorie et pratique. Publier ces textes m’apporte énormément et j’aime l’idée de faire société en partageant des idées, des convictions, des conseils parfois !
Ces publications régulières génèrent finalement bon nombre d’interactions avec une communauté qui augmente de façon exponentielle. Certains commentaires peuvent parfois se révéler acerbes. N’est-ce pas trop dur à assumer ?
VBV : J’ai publié plusieurs dizaines de posts et très honnêtement, les réactions négatives sont très rares. Lorsqu’un commentaire est critique, c’est une occasion d’échanger, de débattre. On ne peut pas exposer d’opinion sans accepter le jeu des réactions. Je m’efforce de prendre beaucoup de distance tant dans le positif que dans le négatif. De la même façon, je ne laisse pas la performance des posts dicter mon envie d’écrire. Je prends la parole sur les sujets qui m’inspirent.
Être un manager, pour vous, c’est quoi ?
VBV : Je pense que c’est d’abord être en mesure de créer une dynamique. C’est aussi une capacité à reconnaître la valeur de chacun. Je m’astreins à une discipline : toujours féliciter en public, blâmer ou critiquer en face à face. La première mission du manager, c’est celle qui consiste à protéger le collaborateur et je pense que cela passe par un désir de se montrer toujours valorisant. On a trop tendance à considérer que lorsqu’une tâche est exécutée, c’est juste « normal ». Mais ce n’est pas le cas, il faut savoir dire et reconnaître les mérites du quotidien et mettre en avant les réussites.
Quelle place occupe le digital dans cette mission de management que vous affectionnez tant ?
VBV : Le digital est l’un des outils à la disposition du manager pour accomplir ses missions. Le digital contribue à nous rendre plus efficient pour travailler ensemble. Mais, il faut rester attentif et veiller à ne jamais se laisser distancer. Les outils numériques évoluent en permanence. J’ai 30 ans et déjà, certains phénomènes digitaux, certains codes m’échappent. Faut-il craindre de ne pas savoir ? Je ne pense pas. Le manager doit accepter de ne pas être omniscient. Lorsqu’il ne sait pas, qu’il l’assume, qu’il demande même l’aide de ses collaborateurs les plus jeunes, c’est une formidable opportunité de valoriser les équipes et un levier d’intégration des plus jeunes notamment.
Entre confiance et contrôle, vous choisissez quoi ?
VBV : Les deux notions ne s’opposent pas. Il n’y a pas à choisir. La confiance et le contrôle sont indispensables. Ce qui est le plus gratifiant dans le management, c’est d’accompagner la montée en compétence des équipes. Cela passe nécessairement par un certain lâcher prise. Le manager doit accepter de déléguer même s’il sait que son collaborateur ne sera pas forcément aussi rapide ou efficace que lui pour accomplir la tâche. Nous sommes tous perfectionnistes. A mes yeux, le manager est un gestionnaire de risque qui doit sans cesse arbitrer entre sa volonté de tout contrôler et l’indispensable abandon au savoir-faire de ses équipes. La confiance et le contrôle se répondent et se font écho en permanence. C’est encore plus vrai depuis que le travail à distance s’impose dans l’organisation du travail. Le manager doit rythmer les missions différemment, s’assurer que les tâches confiées peuvent réellement être absorbées par le collaborateur, mais a contrario, il doit veiller à ce que les équipes ne s’ennuient pas, faute de missions suffisantes. Il faut sortir de la culture des moyens, au profit d’une culture du résultat. Définir des objectifs clairs, repenser les feuilles de route, redéfinir le mapping des missions et activités des collaborateurs… Là encore, la confiance est capitale car l’ajustement ne peut se faire qu’avec les équipes.
Vous êtes trentenaire, diplômé de l’école Polytechnique, vous avez étudié à Sciences Po. Concrètement, la formation des managers est-elle suffisante ?
VBV : Je suis ingénieur de formation, je suis passé par Sciences Po et très clairement, j’ai dû entendre parler de management quelques heures seulement. La formation initiale au métier de manager est très clairement insuffisante. Le plus souvent, tout s’apprend sur le terrain. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’aime tant prendre la parole sur LinkedIn. Je lis énormément, j’apprends en permanence, j’essaie de m’améliorer. Cette curiosité qui me nourrit, j’ai envie de la partager car je suis convaincu que le manager joue un rôle clé dans l’agilité de l’entreprise.
Et si vous deviez définir le management idéal, quels mots choisiriez-vous ?
VBV : Je crois beaucoup à la notion d’empowerment qui me semble être la mission la plus noble du manager et qui consiste à faire avancer les collaborateurs sur le chemin de la compétence. Je choisirais ensuite la bienveillance, qui me semble absolument indispensable. Et enfin, j’évoquerais la capacité à donner du sens aux missions que l’on confie aux équipes.
L’analyse de Gwénaël Rigolé
Le manager est l’acteur-clé de la transformation des entreprises. Il agit comme un catalyseur de l’efficacité des équipes qu’il est chargé d’accompagner dans le temps.
Malheureusement, la formation initiale de managers est trop souvent embryonnaire. Cela rend indispensable de miser sur une formation continue tout au long du parcours du manager.
Le lâcher prise, la capacité à faire confiance plutôt qu’à tout miser sur le contrôle, c’est bien une affaire de soft skills mais aussi et surtout une posture qui s’apprend, se développe. Cette posture se cultive par des formations thématiques (CNV, prise de paroles, intelligence collective, leadership, etc.) mais aussi par une veille constante grâce au digital. D’autres axes peuvent également être explorés comme le mentorat/coaching, des ateliers de pratique ou de co-développement, encore de partage de use cases entre pairs. Autant d’initiatives qui contribuent à l’émergence d’un management augmenté, fondé non seulement sur la bienveillance, mais sur une démarche plus collaborative au sein de laquelle le manager se positionne plutôt en chef d’orchestre qu’en censeur.